Au lever du jour ils plièrent le camp et voyagèrent au-delà des forêts de bambous jusqu’à la plaine qui menait à Lan-Chow et au fleuve.
Mais au milieu de la journée Marco stoppa la caravane dans une petite auberge à proximité d’un village et annonça qu’ils resteraient ici jusqu’au lendemain matin pour récupérer après les
évènements de la nuit dernière. L’auberge n’était pas aussi luxueuse qu’une station mais elle était convenable et la nourriture, bien que simple, était bonne.
Le Seigneur des Terres dit qu’il était honoré d’accueillir des hôtes aussi prestigieux et il fit de son mieux pour leur apporter le plus de confort possible.
Marco avait levé ses restrictions, Ping-Cho et Susan partageaient de nouveau une chambre, et l’atmosphère à la table était détendue.
Après qu’ils aient mangé et bu leur thé, Marco les regarda l’un après l’autre. ‘Pouvez-vous, sur votre honneur, promettre de ne plus tenter de vous enfuir ?’ demanda-t-il. Il ne reçut pour
toute réponse qu’un long silence. Marco soupira et posa ses mains, paumes à plat, sur la table. ‘Qu’il en soit ainsi,’ murmura-t-il.
‘Nous avons sacrifié notre chance de regagner la liberté pour vous sauver, Polo,’ rétorqua le Docteur.
‘Je sais,’ dit Marco, ‘et en échange je révoque, par décret officiel, la saisie de votre roulotte volante.’
‘C’est très noble de votre part, j’en suis bien certain,’ répondit sèchement le Docteur, ‘maintenant rendez-moi les clés.’
Marco secoua la tête. ‘Non, Docteur, nous en avons déjà discuté.’
Tegana pointa un doigt d’avertissement vers Marco. ‘Quoi que tu leur accordes, ils l’utiliseront contre toi.’
‘Je devrais être gardé jour et nuit,’ dit Marco en riant.
Tegana se leva. ‘Laisse-moi être ton épée. Je te protège-’
‘Non,’ l’interrompit brusquement Marco. ‘C’est toi qui est sous ma responsabilité, et non l’inverse.’
Deux remarques avaient intrigué le Docteur et il avait attendu qu’ils soient seuls tous les quatre pour en discuter.
‘Tegana se rend compte qu’il est démasqué, du moins en ce qui nous concerne.’
‘Il sait que nous le surveillons,’ approuva Ian.
‘Mais nous surveillons quoi ?’ demanda Barbara.
Le Docteur s’enfonça dans son fauteuil. ‘Ma jeune dame, voilà une question pertinente. Ian a vu le Seigneur de Guerre entretenir le feu la nuit derrière. Une tache de domestique, une tâche
qu’il confie normalement au garde.’
‘Mais le garde était mort, grand-père,’ dit Susan.
‘Précisément, mon enfant,’ répondit le Docteur, ‘et Tegana n’a pas donné l’alarme. Ergo, il savait.’
‘Vous suggérez qu’il était impliqué dans l’attaque,’ observa Ian.
‘Je ne fait qu’énoncer un fait, Chesterton,’ répondit le Docteur. ‘Depuis que nous avons rejoint la caravane de Polo, deux hommes sont morts et Tegana les a tous deux abattus. Il les
connaissait tous les deux, je n’en doute absolument pas, celui de la forêt l’a appelé par son nom, mais sa vraie mission est plus importante que leurs vies.’
‘Mais quelle est cette mission ?’ demanda Barbara.
‘Charmante demoiselle, je ne sais pas et, plus important, je m’en fiche. Je veux cette clé et je veux que nous partions d’ici.’
Soudain, ils entendirent un tintement de cloches qui s’approchait.
‘Ca n’est pas Noël, n’est-ce pas ?’ plaisanta Susan alors qu’un jeune homme affublé d’un bandeau sur la tête et vêtu d’un pantalon de montagne rentré dans ses bottes de cavaliers et d’une
chemise ornée d’une large ceinture serrée autour de sa taille et couverte de cloches arrivait en courant dans la cour.
‘Je cherche Messire Marco Polo,’ dit-il.
Susan se leva. ‘Il est dans sa chambre, je vais le chercher.’ Elle monta les escaliers en courant.
Ian regardait les cloches. ‘Pourquoi portez-vous tout ça ?’ demanda-t-il finalement.
‘Pour faire savoir aux gens que j’arrive,’ répondit le jeune homme avec un sourire avant d’expliquer qu’il était un coursier spécial de Kublai Khan. ‘Je chevauche sans répit jusqu’à ma
destination, hormis le moment où je change de cheval, à chaque lieue. Les cloches préviennent l’aubergiste pour qu’il selle un cheval frais pour moi.’
‘D’où venez-vous ?’ demanda le Docteur.
‘Du palais d’été de Shang-Tu.’
‘C’est à une centaine de lieues d’ici,’ s’exclama Ian. ‘Quand êtes-vous parti ?’
‘Hier.’
‘J’aurai pensé que c’était physiquement impossible,’ dit Barbara.
‘Mes vêtements, comme vous le voyez, Ma Dame, sont très serrés, autrement ils auraient été réduits en pièces.’
‘Et vous êtes nombreux à être capables de couvrir une telle distance sans prendre de repos ?’ demanda Ian.
Le jeune homme agita une main devant son visage. ‘Nous sommes peu nombreux, Mon Seigneur, mais c’est dans notre sang. Nous provenons tous de la grande steppe du nord.’
Le Docteur suggéra que, maintenant qu’il avait atteint sa destination, il devrait s’assoir.
Le jeune homme sourit. ‘Merci, Mon Seigneur,’ répondit-il avant de desserrer sa ceinture, de s’assoir sur une chaise et de s’étirer les jambes.
Susan était sur le point de frapper à la porte de Marco quand elle se dit qu’il vaudrait mieux que ce soit Ping-Cho qui l’avertisse de l’arrivée du jeune homme, donc elle se rendit dans leur
chambre et lui demanda de transmettre le message.
Ping-Cho devina instantanément d’où venait le coursier et se précipita dans la chambre de Marco, frappa rapidement à la porte et, sans attendre de réponse, entra.
Marco était à la porte, rangeant les deux clés dans un compartiment à l’arrière de son journal. Il regarda Ping-Cho avec colère et celle-ci s’excusa de son entrée avant d’expliquer que l’un des
coursiers spéciaux du Khan était en bas.
Marco referma son journal et la fixa. ‘Ai-je ta parole que tu ne diras à personne où sont les clés ?’
‘Oui, Messire Marco, vous l’avez. Je n’en parlerai à personne.’
Suivi par Ping-Cho et Susan, Marco descendit et le jeune homme bondit sur ses pieds et s’inclina.
‘Ling-Tau,’ dit Marco avec plaisir avant de lui demander quel était le message du Khan.
Ling-Tau ouvrit la pochette attachée à sa ceinture et tendit à Marco un parchemin scellé qu’il ouvrit et lu. Il regarda les autres. ‘Kublai Khan veut me voir sans délais,’ dit-il en enroulant
le parchemin.
‘Donnez-moi les clés, une seule suffira, sautez sur votre cheval et partez au galop,’ répondit le Docteur. Même Marco ne put retenir un sourire.
‘Non, Docteur, Lan-Cho est à une journée de voyage d’ici. Nous y arriverons demain, prendrons des chevaux et galoperons jusqu’au palais d’été à Shang-Tu. En tout, nous devrions pouvoir couvrir
la distance en 10 jours,’ conclut-il.
‘Et pour mes effets personnels ? demanda le Docteur en lui lançant un regard mauvais.
‘Ils suivront dans une caravane de commerce,’ répondit Marco. ‘Il y en a au moins une par jour qui part de Lan-Chow pour Shang-Tu.’
‘Polo, nous sommes entrain de parler de parler de mon vaisseau,’ cracha le Docteur, ‘et je ne le laisserai pas loin de ma vue.’
Marco leva le sceau du Khan. ‘Ceci dit que votre roulotte volante arrivera sans incidents au palais d’été. Sur l’honneur de Kublai Khan.’
Le Docteur renifla alors que Marco se tournait vers Ling-Tau. ‘Je vais préparer une réponse pour le grand Khan qui tu lui amèneras demain quand nous partirons d’ici.’
Lin-Tau enleva son bandeau et dénoua sa ceinture. ‘Merci, Messire Marco,’ dit-il avec un sourire.
Ian le regarda avec étonnement. ‘Vous voulez dire que vous seriez reparti pour Shang-Tu immédiatement ?’
‘Si ça avait été nécessaire, Mon Seigneur,’ répondit Ling-Tau en étirant ses épaules.
Ping-Cho se dit que ce jeune homme était tout à fait charmant.
Au matin suivant, Ling-Cho repartit au galop, la réponse de Marco dans la pochette de sa ceinture de cloches, pendant que la caravane repartait tranquillement vers
Lan-Chow. A midi ils pouvaient voir les flèches de la cité et en milieu d’après-midi, ils apercevaient le fleuve qui brillait sous le soleil et qui serpentait jusqu’à l’horizon. Ils
atteignirent la station juste avant le crépuscule et furent accueilli par Wang-Lo, le gérant pompeux et enveloppé. Comme à son habitude, le Docteur demanda que le TARDIS soit placé dans la cour
centrale, cette fois au milieu de jardins suspendus, avant de monter dans sa chambre pour y prendre un bain et changer de vêtements. Lorsqu’il descendit rejoindre les autres pour le diner, la
cour centrale ne contenait plus que les jardins suspendus.
‘Où est mon vaisseau, Polo ? Qu’en avez-vous fait ?’ demanda-il.
Marco semblait perplexe. ‘Je ne l’ai pas touché, Docteur. Honnêtement.’
‘A quoi le vieux Seigneur fait-il allusion ?’ demanda Wang-Lo d’un air hautain.
‘A sa roulotte,’ répondit Marco, ‘elle était là dehors.’ Il indiqua la cour centrale. Wang-Cho mit sa main droite sur son front. ‘Oh, c’était ça. D’un a demandé à la mettre à
l’étable.’
‘A l’étable !’ Explosa le Docteur.
‘Nous pouvions difficilement le laisser sous les jardins suspendus, n’est-ce pas ?’
‘Oh si, nous pouvions.’ Le ton du Docteur était acerbe. ‘Qu’est-ce que nous nous avons supposé que c’était, une cabine de douche ?’
Marco lui rappela que le wagon devait être emmené à Shang-Tu à bord d’une caravane de commerce. ‘Donc il va falloir vous habituer à ne plus la voir pour un moment,’ dit-il.
Le Docteur bouillonnait intérieurement alors que Marco se tournait vers Wang-Lo et lui demandait quand le prochain convoi devait partir pour Shang-Tu.
‘Il y a un départ demain matin,’ répondit Wang-Lo.
‘Nous nous en allons ?’ répondit le Docteur, toujours énervé.
‘Nous savons qu’elle partira, Mon Seigneur.’ Dit Wang-Lo avec autorité.
Le Docteur sortit comme une tornade pendant que Ping-Cho, qui venait d’avoir une idée, se rendait jusqu’aux jardins suspendus pour y réfléchir.
Il y avait une fontaine et un bassin au centre, avec des lotus flottants à la surface, sous lesquels des poissons rouges apparaissaient et disparaissaient. Elle s’asseyait au bord du bassin
pour les regarder quand Susan la rejoignit.
Ping-Cho la regarda, sourit et indiqua l’un des poissons. ‘Celui-ci est Wang-Lo,’ dit-elle, ‘gras et pompeux.’
‘Voici Marco,’ observa Susan en en indiquant un autre, ‘un petit air solennel et regarde, celui-là a l’énergie de Ian,’ dit-elle devant un poisson qui s’éloignait à toute vitesse.
‘L’indépendance de Barbara.’ Ping-Cho montrait un poisson isolé. L’un d’entre eux jaillit de sous une feuille de lotus pour aussitôt disparaitre sous une autre. ‘C’est toi,’ dit Ping-Cho en
riant.
‘Et c’est grand-père,’ dit Susan en indiquant un vieux poisson qui s’était approprié une place de choix sous la plus grande feuille de lotus.
‘Et toi, où es-tu ?’ demanda Susan, avant de remarquer un poisson doré. ‘Te voilà avec ton voile de mariée,’ s’exclama-t-elle. Elle le regretta instantanément. ‘Pardonne-moi, Ping-Cho, je
suis désolée.’
Ping-Cho lui pris la main. ‘Samarkand me manque,’ lui confessa-t-elle, ‘ma maison me manque.’
Susan s’assit à côté d’elle. ‘Parle-moi de ta maison.’
‘C’était une maison très accueillante qui donnait envie aux gens d’y vivre. Il y a un jardin, un peu comme celui-ci mais pas aussi élaboré, mais quand même très joli, et pendant les soirées
d’été la brise est chargée du parfum des fleurs et du doux bruit des ailes des oiseaux. J’avais l’habitude de les regarder pendant des heures alors qu’ils voletaient au dessus des fleurs et
buvaient leurs nectars.’ Ping-Cho plongea son regard dans l’eau. ‘J’aimerai être là-bas à cet instant.’
‘Je peux comprendre. Comme tu le décris, ça a l’air très joli.’
‘Et ta maison, Susan, elle est vraiment si loin ?’
‘Aussi loin que l’étoile de la nuit.’
‘Mais tu pourras y retourner depuis Venise ?’
‘Pas sans le TARDIS.’
‘Mais si Messire Marco donne votre roulotte à Kublai Khan, tu ne reverras jamais ta maison.’
‘Jamais.’
Ping-Cho mis une main sur ses lèvres. ‘J’ai donné ma parole, Susan, j’ai promis de ne dire à personne où il cachait les clés.’
‘Et je promets que personne ne te le demanderas,’ répondit Susan avec un sourire.
Ping-Cho déclara se sentir mal pendant le repas et les pria de l’excuser. Susan lui proposa de l’aider à regagner leur chambre mais Ping-Cho déclina son aide et
insista pour que Susan finisse son repas. Aussitôt qu’elle fut montée, Ping-Cho se faufila dans la chambre de Marco, ouvrit son journal qui était posé sur la table et vola l’une des clés dans
le compartiment à l’arrière. Puis elle retourna dans leurs chambres, s’étendit sur son lit et attendit Susan qui la rejoignit aussitôt après avoir fini de manger. Ping-Cho s’assit.
‘Comment te sens-tu ?’ Susan semblait anxieuse.
‘Bien. Qu’avez-vous mangé ?’
‘Du poulet braisé. C’était délicieux et je suis désolée que tu aies raté ça.’
‘Moi aussi,’ répondit Ping-Cho en faisant la moue, ‘mais j’avais quelque chose à faire et je dois te donner ça.’ Elle tendit la clé à Susan qui écarquillait les yeux de surprise.
‘Mais tu as promis à Marco.’
‘Ne ne dire à personne où elles étaient. J’ai tenu ma promesse. Tu ne sais pas d’où elle vient.’
Susan s’assit à côté d’elle sur le lit.
‘Marco sera très en colère,’ l’avertit Susan.
Ping-Cho lui sourit. ‘Mais l’une d’entre nous au moins pourra rentrer chez elle,’ dit-elle avec nostalgie et elles se serrèrent dans les bras l’une de l’autre.
… masquer le texte