Quand Barbara retourna à la chambre de Susan, son ancienne élève semblait dormir paisiblement.
Du repos était exactement ce dont la jeune fille avait besoin, se dit Barbara. Susan avait toujours été plus sensible que ses autres élèves ; et les évènements récents l’avaient visiblement
beaucoup secouée. Son attaque contre Ian n’était certainement qu’un symptôme de son agitation intérieure et de sa frustration.
Barbara s’assit au bord du lit, vérifiant le pouls de temps en temps et s’assurant que tout allait bien. Sur la table, la lampe à huile que Ian avait allumée produisait toujours des ombres
féeriques sur le mur.
Le bruit de respiration du système de survie, qui semblait avoir remplacé le bourdonnement habituel des machines du TARDIS, était assez soporifique et Barbara se surprit à piquer du nez.
Un bruit soudain la réveilla en sursaut, ses nerfs instantanément en alerte. A ses côtés Susan s’était redressée dans son lit et se tenait droite, ses mains
toujours cachées sous les couvertures. Barbara sourit, plus de soulagement qu’autre chose, s’en voulant de sa nervosité.
‘Tu te sens mieux ?’ demanda-t-elle. Susan la regarda d’une façon étrange. Peut-être était-elle encore un peu confuse, se dit Barbara.
‘Je vais bien’, répondit lentement l’élève. ‘Pourquoi je n’irais pas bien ?’
‘Susan, tu te souviens de qui je suis, n’est-ce pas ?’ Demanda Barbara. La voix de Susan semblait curieusement hachée ; et pendant une horrible seconde elle rappela à Barbara le ton
saccadé et vide d’émotions des Daleks qu’ils avaient rencontré sur la planète Skaro. Elle était soudain très inquiète.
‘Bien sûr que je me souviens de qui vous êtes,’ continua la jeune fille sur ce même ton plat et monotone. ‘Vous êtes Barbara.’
Le front de Barbara se plissa d’inquiétude en entendant Susan l’appeler par son prénom. Jusqu’à maintenant Susan l’avait toujours appelée, en sa présence tout du
moins, Mlle Wright, maintenant une forme de respect élève-professeur encouragée à Coall Hill. Qu’elle se mette soudain à l’appeler par son prénom rendit l’enseignante nerveuse. Elle fit un
effort pour chasser son inquiétude et toucha le front de Susan. Sa température était toujours anormalement élevée. Elle se dirigea vers la table de chevet sur laquelle Ian avait posé un bol
d’eau à côté de la lampe à huile. Elle y trempa son mouchoir, l’essora et retourna auprès de Susan .
‘Pose ça sur ton front, Susan,’ lui dit-elle. ‘ Ca fera baisser ta température.’
‘Pourquoi ?’ demanda la jeune fille. ‘Tout va bien chez moi. Pas besoin de me dorloter comme si j’étais Tiny Tim.’
‘Qui ça ?’demanda vivement Barbara.
‘Tiny Tim,’ répéta Susan. ‘Le jeune handicapé dans un conte de Noël de Dickens.’
‘Je ne savais pas que tu connaissais Dickens,’ dit doucement Barbara. Elle se souvenait soudain de ce que lui avait dit Mr Foster, le professeur d’anglais, à propos de la jeune
Foreman : brillante à certains égards – elle pouvait réciter de longs extraits de Shakespeare comme si elle l’avait connu en personne. Mais elle n’avait jamais lu ne serait-ce qu’un mot de
Dickens !
Susan rougit et Barbara supposa qu’elle l’avait embarrassée d’une manière ou d’une autre.
‘Je - j’ai dû entendre grand-père en parler quelquefois… il lit beaucoup vous savez…’
Barbara lui lança un regard suspicieux. Les changements d’humeur, la violence, les connaissances nouvelles… parlait-elle vraiment à Susan, ou bien à… elle frémit à cette pensée. Comme une
personne possédée, avait dit Ian.
Barbara essaya de détendre l’atmosphère. ‘Bien sûr que tout va bien chez toi, Susan,’ dit-elle. ‘ Tu as juste besoin de repos, c’est tout.’
Susan sembla approuver et se laissa retomber sur ses oreillers. Elle se redressa soudain de nouveau et agrippa le bras de Barbara.
‘Où est grand-père ?’ Le ton de sa voix avait soudain changé : il n’était plus froid et monocorde, on sentait indubitablement son inquiétude. Barbara se libéra de l’étreinte de Susan
et lui répondit.
‘Il vérifie les machines avec Ian – Mr Chesterton.’
Le visage de Susan sembla se détendre puis elle ajouta ‘pourquoi m’avez-vous demandé si je savais qui vous étiez ?’
‘C’est simplement que tu semblais…’ Barbara était embarrassée, se demandant comment répondre à la question de la jeune fille. Comment dit-on à quelqu’un qu’on le soupçonne d’avoir perdu le
contact avec la réalité ?
Susan continua à la regarder bizarrement. Sous les couvertures Barbara devinait ses mains qui tâtonnaient. Barbara tendit une main. ‘Susan, pourquoi tu ne me donnerais
pas les ciseaux ?’ dit-elle avec douceur mais fermeté. Susan sortit sa main de sous l’oreiller et brandit l’instrument d’un air menaçant vers Barbara.
‘Susan, donne-les-moi !’ Lui ordonna Barbara de sa voix d’institutrice, celle qu’elle utilisait pour terroriser la classe 1C.
La jeune fille sembla hésiter mais pointait toujours les ciseaux vers Barbara. Sa main tremblait. Au vu de son état nerveux, Barbara réalisa qu’elle pourrait faire n’importe quoi. L’enseignante
essaya une autre approche.
‘Susan, pourquoi fais-tu tout ça ?’ demanda-t-elle doucement.
‘Vous avez dit que c’était une panne de courant,’ commença-t-elle.
Barbara la corrigea ‘Non, c’est ce que Ian pense.’
‘Je ne vous crois pas,’ continua Susan. ‘Vous m’avez menti.’
‘Menti ? De quoi parles-tu, Susan ?’
‘Je vous ai entendus, vous et Mr Chesterton. Vous avez dit qu’il y avait quelque chose dans le vaisseau, et vous ne vouliez pas que je le sache...’
Barbara commença à comprendre. ‘Je vois – tu n’as entendu que quelques mots et tu –‘
‘Non,’ l’interrompit Susan. ‘Vous m’avez menti. Je ne peux plus vous croire.’
‘On ne ferait rien qui pourrait te blesser, Susan, ‘ insista Barbara. ‘Tu dois le savoir maintenant ?’
‘Non. Vous avez peur de nous, de grand-père et moi. Vous n’êtes pas comme nous. Comment peut-on savoir ce que vous avez en tête, ce que vous pensez de nous ?’
‘Susan, tu ne vois pas que c’est la même chose pour nous ? Ton grand-père et toi êtes autant des aliens pour nous que nous le sommes pour vous. Il arrive parfois qu’on ne sache pas comment
nous comporter face à vous ; oui, peut-être que parfois nous avons peur de vous, que parfois nous sommes inquiets et dans le doute. Je sais que nous voyageons ensemble parce qu’on y est
obligés, et la seule chose que Ian et moi voulons c’est rentrer à la maison. Mais Susan, nous sommes embarqués tous ensemble dans le même bateau qu’on le veuille ou non et nous devons apprendre
à nous faire confiance les uns les autres. Et puis, quel intérêt nous aurions à vous blesser, toi et ton grand-père ? Sans le Docteur avons-nous une seule chance de regagner la Terre et
notre époque ? Nous ne vous comprenons peut-être pas toujours, mais nous avons besoin de vous. Peux-tu comprendre ça ? Pourquoi essaierions-nous de vous faire du mal ?
Susan abaissa lentement les ciseaux alors qu’elle réfléchissait aux mots de Barbara. Tirant avantage de son hésitation, Barbara s’élança et arracha les ciseaux de la
main de Susan. Celle-ci se débattit un moment, frustrée, frappant Barbara de ses points. Puis elle fondit en larmes, tombant dans les bras accueillant de Barbara.
Assise sur le bord du lit, Barbara la réconforta en la berçant comme une enfant. Après quelques minutes les pleurs de Susan se calmèrent et elle leva vers Barbara un visage baigné de larmes.
Elle n’eu pas besoin de parler ; Barbara lu ses remords dans ses yeux ; mais elle y lu aussi la terreur.
‘Barbara, qu’est-ce qui nous arrive ?’ demanda Susan en reniflant. L’usage de son prénom n’agaçait plus Barbara.
‘Je n’en ai pas la moindre idée, Susan. Nous sommes… nous somme tous un petit peu bouleversés, c’est tout. Mais ne t’inquiètes pas. Ton grand-père va bientôt trouver ce qui ne va pas avec le
TARDIS, puis nous pourrons repartir.’
Susan hocha la tête, puis survola la pièce des yeux. Sur sa table de nuit la lumière de la lampe à huile vacillait faiblement.
‘Je n’avais jamais remarqué ces ombres avant,’ dit Susan. ‘ C’est si lumineux d’habitude… mais dans ces ombres pourrait se cacher n’importe quoi… il y a des parties du TARDIS que même moi
n’ai pas encore vraiment exploré…’
‘Ne sois pas bête, Susan,’ la réprimanda gentiment Barbara. ‘Tu es fatiguée et tu te laisses emporter par ton imagination. Il n’y a pas à avoir peur du noir.’
‘Le vaisseau est tellement silencieux,’ continua Susan. ‘A part cette respiration.’
‘Une respiration ?’
‘Ecoutez – le système de survie. On dirait quelqu’un qui respire n’est-ce pas ?’ dit-elle d’un air sombre.
Barbara l’obligea à se taire. ‘On s’imagine des choses, ça ne peut être que ça.’
Susan la regarda bizarrement, la mettant presque au défi de lui donner une explication valable.
‘Soyons logiques, Susan,’ continua Barbara. ‘Je veux dire, comment quoi que ce soit pourrait rentrer dans le TARDIS ?’
‘Les portes étaient ouvertes,’ lui rappela Susan. En dépit de ce que grand-père peut dire, elles étaient ouvertes.’
‘Mais où cette chose pourrait se cacher ?’
‘Dans l’un d’entre nous.’
Barbara frissonna en entendant Susan dire à voix haute ce qu’elle aussi redoutait. Ils avaient tous agit bizarrement ; serait-ce possible qu’une intelligence
alien inconnue aie pénétré les défenses du TARDIS et aie pris possession de l’un d’entre eux ? Une fois encore les mots de Ian lui revinrent à l’esprit : comme une personne
possédée.
‘Ne sois pas bête, Susan,’ dit-elle faiblement. ‘Nous devons arrêter de parler comme ça. Tu imagines ce que diraient le Docteur et Ian s’ils nous entendaient parler comme ça ? Ils se
moqueraient de nous. Il doit y avoir une explication rationnelle.’
‘Mais supposez qu’il n’y a pas de panne…’ suggéra Susan.
‘Quelle clairvoyance!’
Barbara et Susan se tournèrent nerveusement vers celui qui s’était approché sans bruit et qui se tenait maintenant dans l’embrasure de la porte. Elles poussèrent toutes les deux un soupir de
soulagement en constatant qu’il s’agissait de Ian.
‘Que voulez-vous dire ?’ demanda Susan.
‘Nous venons de tout vérifier et selon le Localisateur d’Erreur le TARDIS fonctionne parfaitement bien,’ expliqua-t-il avant de regarder Susan. ‘Comment te sens-tu maintenant ?’
‘Je vais bien… que fait mon grand-père ?’
‘C’est pour ça que je suis là. Puisque rien ne cloche dans le TARDIS il a décidé que le problème ne pouvait venir que de l’extérieur. Il a l’intention de rallumer le scanner.’
Le visage de Susan blanchit de terreur et elle bondit hors de son lit.
‘Non, il ne doit pas !! Il ne doit pas !!!!’ Cria-elle en se précipitant hors de la chambre.
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