Barbara se matérialisa à quelques mètres du mur couvert de vigne vierge. Près d’elle Susan gisait groguie à ses pieds, se couvrant les oreilles.
Barbara s’arrêta, sans savoir quoi faire. A ce moment là Ian, Sabetha et Altos se matérialisèrent. Ian regarda autour de lui et aperçut Susan.
Susan se découvrit les oreilles. ‘Ca s’est arrêté,’ dit-elle.
‘Vous ne l’avez pas entendu ?’ Susan regarda les autres d’un air incrédule.
Il y eut une pause embarrassée. Barbara pausa les bras de Ian sur les épaules de Susan. ‘Il peut y avoir des animaux dans cette jungle.’
‘Du calme,’ dit Ian. ‘Dis-nous simplement ce qu’il s’est passé.’
‘Et bien, quoi que ce soit c’est parti maintenant,’ dit vivement Barbara.
Susan lui lança un regard ferme. ‘Je l’ai vraiment entendu vous savez.’
Barbara hocha la tête. ‘Oui.’
Il y eu un nouveau silence. Puis Sabetha fit remarquer, ‘cet endroit est mort.’
‘C’est un peu silencieux, n’est-ce pas ?’ répondit Ian, essayant de paraitre enjoué.
Ian savait exactement ce qu’elle voulait dire. Il y avait quelque chose de mort dans l’atmosphère, une impression de pourriture, une absence de vie humaine.
‘La clé sera de l’autre côté de ce mur,’ dit Altos, leur rappelant leur mission.
Ils se séparèrent. Ian, Altos et Sabetha partirent chercher une autre entrée pendant que Barbara et Susan restaient sur place.
‘Ne faites rien jusqu’à ce que nous soyons revenus,’ les prévint Ian en partant.
‘J’aimerai qu’il ne me traite pas comme une poupée de porcelaine,’ se plaignit Barbara.
‘C’est plutôt gentil cette façon de prendre soin de nous tout le temps,’ dit Susan.
‘Je sais, mais juste une fois de temps en temps…’
‘Rebelle,’ dit Susan avec un sourire.
Il y eu une courte pause.
‘Tu te sens bien maintenant ?’ demanda Barbara.
Susan hocha calmement la tête. ‘Oui.’
‘Que s’est-il passé ?’
‘Un bruit. Très fort. Une sorte de glissement et un son strident, amplifié de nombreuses fois. Je l’ai déjà entendu auparavant – ou quelque chose de semblable.’
‘Où’
‘Je ne me rappelle plus. Je sais seulement que je l’ai reconnu comme quelque chose… de mauvais.’ Susan haussa les épaules.
Barbara regarda par-dessus son épaule vers la jungle environnante. Elle semblait plus dense et plus sombre que jamais. Certains arbres mesuraient plus de soixante
mètres de haut. Leurs branches massives s’entrelaçaient pour former une voûte de verdure qui bloquait le soleil. Plus bas, des pousses de vignes vierges et des lianes s’étendaient de tronc à
tronc, créant un second plafond plus dense encore qui rejoignait le mur comme une vague verte géante.
‘Je n’ai jamais vu de végétation comme celle-ci,’ dit Barbara, apeurée.
‘Vous pensez que la clé est à l’intérieur ?’
‘Elle doit y être.’
Barbara s’approcha de l’entrée cachée pendant que Susan s’étendait paresseusement sur le sol. ‘Tu sais, Susan, à bien regarder cette arche, ces choses ne sont pas aussi denses qu’elles semblent
l’être.’ Elle écarta quelques lianes. ‘Je suis sûre que l’on peut passer au travers.’
‘Peut-être.’ Susan changea de position sur l’herbe grasse. Sa jambe la démangeait et elle se gratta négligemment du dos de la main. L’instant d’après quelque chose de rêche et de vigoureux
s’enroula autour de sa cuisse et la tira en arrière sur le sol. Susan laissa échapper un cri.
Se tournant, Barbara vit une liane épaisse enroulée autour du corps de Susan, comme un énorme serpent. Barbara courut vers elle et essaya de la libérer. La liane se démenait et glissait hors de
sa portée comme un animal vivant. Elle attrapa une lourde pierre et l’abattit de toutes ses forces. La liane perdit prise et Susan se libéra en luttant.
‘C’était vivant !’ Sanglota Susan, tremblante de terreur.
‘Elle doit t’être tombée dessus depuis l’arbre.’
‘Non, ça n’est pas ça, Barbara… ça n’est pas ça. Je vous dis que c’était vivant. Ca essayait de s’entortiller autour de moi !’
Barbara la secoua. ‘Arrête ça, Susan ! ça n’est que ton imagination.’ Elle agita une main vers la liane qui gisait maintenant immobile sur le sol. ‘Elle ne peut pas bouger d’elle-même. Tu
sais que c’est impossible.
Susan se ressaisit. ‘Non. Je suis désolée.’
Barbara mis son bras autour de la jeune fille. ‘Viens m’aider à dégager l’arche.’
‘Susan parvint à sourire bravement et elle commencèrent ensemble à arracher les vignes vierges.
Après un certain temps elles finirent par créer un petit tunnel et Barbara s’y faufila. Les lianes avaient poussées à travers l’arche et sur le mur, envahissant ce qui
avait dû être un jour une petite cour. Il sembla à Barbara qu’elle pouvait apercevoir d’autres pierres travaillées à l’intérieur.
‘Qu’est-ce qu’il y a ?’ demanda impatiemment Susan.
‘Je ne suis pas sûre. Il fait si sombre. On dirait une statue ou quelque chose.’ Barbara se força un passage à travers la végétation jusqu’à l’extrémité du tunnel.
‘Soyez prudente,’ la prévint Susan depuis l’entrée.
Avançant un peu plus, Barbara s’aperçut qu’il s’agissait d’une idole sculptée de trois mètres de haut posée sur un mur en ruines. L’idole ressemblait vaguement à un Buddha, costaud et
rondouillet, ses larges jambes croisées sous son ventre dodu. Son visage, cependant, était plutôt celui d’une gargouille, orné d’une bouche béante et d’horribles yeux protubérants.
Ses bras étaient tendus en avant comme s’il essayait d’enlacer quelqu’un. Sur sa tête, dans un petit récipient, on apercevait les éclats de pierres précieuses ; diamants, saphirs,
chapelets de perles, émeraudes et rubis incrustés dans des bracelets d’or aussi bien que sur des petits bijoux d’argent et de cuivre.
‘S’il vous plait, n’allez pas plus loin.’
La voix de Susan résonna faiblement le long du tunnel, mais Barbara se pressa contre les lianes avec l’intention de rejoindre l’idole. Au milieu des bijoux elle avait repéré un microcircuit
brillant !
‘Il ne semble pas y avoir d’autre entrée. Où est Barbara ?’
Susan trouva Ian, Altos et Barbara penchés sur son épaule.
‘Là dedans.’ Elle indiqua l’arche. La robe bleue de Barbara était à peine visible dans tout ce vert sauvage.
‘Barbara ! Je vous avais dit de nous attendre,’ cria Ian avec colère. Il s’engouffra dans le tunnel.
Barbara était montée sur le socle de l’idole et essayait d’atteindre quelque chose. ‘La clé ! J’ai trouvé la clé,’ hurla-t-elle.
Alors qu’elle atteignait le microcircuit il y eut un clic, un tremblement un grincement de machines. Ian regarda avec horreur le bras tendu de l’idole se resserrer autour de la taille de
Barbara.
‘Aidez-moi, Ian ! Aidez-moi !’
La statue commença à tourner, Barbara fermement maintenue par les bras de pierre. Hurlant, Barbara parvint à lancer la clé dans le tunnel avant de disparaitre par le mur de pierre. Quand
Ian l’atteignit il n’y avait plus rien à voir qu’un mur de maçonnerie nu. Altos arriva à ses côtés.
‘Vous avez vu ce qui est arrivé ?’
Le jeune homme hocha la tête. ‘Il n’y a pas d’ouvertures dans le mur ? Peut-être un ressort caché ?
Ian fouilla les pierres. ‘S’il y en a un je ne le trouve pas.’ Il posa sa tête sur le mur, désespéré. ‘Retournons de l’autre côté un moment. Je ne peux pas réfléchir ici.’ Il s’engouffra à
nouveau dans le tunnel.
Altos s’arrêta le temps de ramasser le microcircuit et le suivit.
En entendant ce qui s’était passé, Sabetha dit, ‘Barbara portait un cadran de voyage. N’est-ce pas ? Tant qu’elle n’est pas blessée elle peut s’échapper quand
elle veut.’
Un tremblement en provenance du tunnel attira leur attention. L’idole se remettait en place, les bras vides.
Après un silence Ian dit, ‘Soit il l’a relâchée, soit elle s’est échappée. Elle pourrait être blessée.’
‘Si elle a utilisé le cadran et sauté jusqu’à la prochaine destination nous ne savons pas quels danger elle peut rencontrer là-bas,’ dit Sabetha.
‘Nous devons envisager toutes les possibilités. La statue a fonctionné une fois comme un piège, elle peut le faire à nouveau. S’il n’y a aucun signe de Barbara j’utiliserai mon cadran de voyage
et je vous suivrai aussi vite que possible.’
Il prit la micro-clé des mains d’Altos et la tendit à Sabetha. ‘Je pense que vous devriez la mettre sur votre chaine avec l’autre. Bien, allez-y.’
Altos et Susan appuyèrent sur leurs cadrans de voyage et disparurent.
‘Dépêche-toi,’ dit Ian à Sabetha qui tripotait toujours la micro-clé.
‘Attendez une minute, Ian. Quelque chose ne va pas.’ Elle brandit la micro-clé. ‘C’est une imitation.’
Ian compara la clé avec celle qu’Arbitan leur avait donné.’
‘Ce bord est un peu plus petit,’ dit Sabetha en indiquant le bord incriminé.
‘Tu es sûre ?’ Ca n’est pas possible qu’il y ait une différence dans les circuits ?’
Sabetha secoua la tête, sûre d’elle. ‘Non. Elles sont toutes absolument identiques. Celle-ci doit être une imitation.
Ian soupira. ‘Donc nous ne sommes pas plus avancés que lorsque nous sommes arrivés.’
‘Vous voulez que je reste avec vous ?'
Ian réfléchit rapidement. ‘Non, il vaut mieux que tu rattrapes les autres. Ils s’inquiètent déjà probablement pour toi. Raconte-leur ce qui s’est passé et dis-leur que je suivrais aussitôt que
j’aurai trouvé la vraie clé.’
Sabetha hocha la tête, puis fit un pas en avant et lui prit la main.
‘S’il vous plait… soyez prudent.’ Elle le dévisagea, son visage digne et fier entouré de ses longs cheveux blonds.
Ian se sentait comme en présence du père de Sabetha. Elle lui faisait savoir que le destin de son peuple reposait peut-être entre ses mains.
‘Je le serais,’ répondit-t-il solennellement.
Sabetha lui fit un sourire chaleureux puis tourna son cadran de voyage et disparut.
Ian retourna au tunnel et se faufila au travers les lianes jusqu’à la base de la statue. Il étudia la sculpture grotesque attentivement jusqu’à ce qu’il trouve une
petite saillie derrière le genou droit. Il grimpa jusque dans les bras de la statue et pressa la saillie de son pied. L’idole se retourna lentement sur cent quatre-vingts degrés.
Ian se découvrit plongé au milieu d’une cour, face à une grande mansarde décrépie. Des statues brisées et des piliers suggéraient une ancienne élégance perdue. L’idole s’immobilisa et desserra
son emprise. Ian glissa sur le sol avec soulagement. Son étreinte de pierre n’avait pas été une expérience plaisante. Il se fit un chemin jusqu’au centre de la cour. L’invasion de végétaux
s’était poursuivie avec la même rigueur de ce côté du mur. Des statues sans membres gisaient tristement dans les hautes herbes, d’héroïques guerriers pleurant la perte d’une épée ou d’une tête,
de magnifiques jeunes femmes contemplant les ruines de leurs amoureux avec une sérénité stoïque. Comme il longeait un guerrier fier et farouche, il posa le pied sur une dalle abandonnée. Un
bruit étrange, comme un vrombissement, se fit entendre. Il regarda autour de lui mais ne put en localiser la source. Puis il entendit un cri.
‘Ian ! Derrière vous !’
Il se tourna à temps pour voir la hache massive du guerrier s’abattre sur lui. Il plongea hors de sa trajectoire et l’énorme lame s’enfonça dans la terre à quelques centimètres de son oreille.
Il se releva en tremblant. Barbara surgit en courant du mur derrière lequel elle s’était abritée.
Vous n’êtes pas blessé ?’
‘Juste un peu secoué. Si vous n’aviez pas crié je…’ Il chancela, livide.
‘Ca n’a plus d’importance,’ haleta Barbara. ‘Oh, Ian, j’ai eu si peur. J’allais attendre encore une demi-heure et si vous n’étiez pas venu, j’aurai utilisé le cadra de voyage.’
‘Je suis content que vous ayez attendu. Cette micro-clé que vous avez trouvé est une fausse.’
‘Quoi ?’
‘Oui. La vrai doit être cachée ici.’
Barbara déglutit. ‘Et bien je vous préviens, elle ne va pas être facile à trouver. Cet endroit est rempli d’énormes pièges. Il est plein de choses comme cette statue. J’ai à peine osé bouger
dans la peur de tomber dans l’un d’entre eux.’
‘Alors nous devrons avancer très lentement,’ dit Ian d’un ton rassurant. ‘Ce coin-ci semble être un bon endroit pour commencer.’ Il indiqua une porte de bois dans un mur éloigné.
Testant chaque pas, ils se frayèrent un chemin à travers la cour jusqu’à la porte. Ils voyaient maintenant qu’elle menait directement dans la mansarde. Le plafond
avait été complètement masqué par les arbres et les lianes.
‘La végétation est partout,’ murmura Barbara. ‘C’est presque comme si elle essayait de rentrer dans la maison !’ Elle se souvint de l’incident avec Susan.
‘Trouvons la clé et sortons d’ici,’ dit Ian. Il essaya la porte. Elle était verrouillée. ‘Nous devrons la forcer. Restez ici, je vais voir si je peux trouver quelques outils.’ Il s’éloigna avec
prudence dans la cour.
‘J’ai vu quelques barres de fer dans une alcôve dans le mur,’ lui cria Barbara. Elle se retourna et réexamina la porte. Elle n’était plus utilisée. Des pousses de lichen et de champignons
poussaient sur les côtés et une plante à ventouses bien accrochée s’était forcée un passage par le bord inférieur. Elle remarqua aussi une fenêtre percée haut sur le mur. Elle avait été brisée
par une branche aussi large qu’une jambe d’homme.
Barbara tourna le dos à la bâtisse et chercha Ian des yeux. Il était hors de vue mais elle pouvait l’entendre dans le coin de plus éloigné de la cour. Un craquement derrière elle la fit bondir
mais il n’y avait rien à voir. Une liane se posa sur son épaule. Le craquement retentit de nouveau. Il venait de la porte. Elle la poussa. Cette fois-ci elle s’ouvrit. Etonnée, elle appela Ian.
‘Je vous rejoins,’ lui répondit-il.
Barbara regarda par l’ouverture de la porte. Elle donnait sur un large hall, sombre, sans air et complètement vide. Un tapis de mousse vert couvrait le sol. Les
murs était couverts de vignes. L’atmosphère était humide et fétide, comme dans une serre. A l’autre extrémité se trouvait une porte à barreaux, tout juste visible dans l’obscurité.
Intriguée, Barbara fit un autre pas en avant. Alors qu’elle avançait résonna un sifflement et un large filet lui tomba dessus depuis le plafond. Elle s’agita et se débattit comme un poisson
capturé, avec pour seul résultat de s’emmêler plus encore dans les cordes solides. Elle trébucha sur le sol. Le bruit des machines commença. Barbara affûta ses sens pour en localiser la source.
Un éclat de métal dans la semi-obscurité devant elle attira son attention. Six pointes d’aciers, toutes aiguisées, tombaient verticalement du plafond. Elle était étendue au beau milieu de
leur chemin.
…
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