C’était Ian. Les yeux hagards et obsédés, il saisit brutalement le Docteur à la gorge. Étonnamment, le vieil homme frêle parvint à repousser le jeune homme
qui, souffrant toujours des effets de la drogue du Docteur, s’écroula sur le sol.
Se massant la gorge, le Docteur tituba jusqu’à une chaise alors que Barbara et Susan entraient précipitamment dans la pièce. Barbara aperçut d’abord le corps de Ian étendu sans connaissance, puis
le Docteur, étourdi et cherchant son souffle sur sa chaise. Elle se précipita vers Ian. Susan courut vers son grand-père.
‘Ca n’est plus la peine de faire semblant maintenant !’ Croassa le Docteur après avoir retrouvé son souffle. ‘J’avais raison ! C’était vous depuis le
début !’
‘Ne restez pas assis là sans rien faire !’ hurla Barbara, sans écouter. ‘Venez l’aider !’
‘L’aider?’ bredouilla le Docteur. ‘Vous avez vu ce qu’il essayait de faire ! Il a failli m’étrangler !’
‘Je n’ai rien vu !’ rétorqua Barbara. ‘Tout ce que je vois c’est qu’il s’est évanoui… comme Susan…’
‘Susan ne s’est pas évanouie,’ rétorqua le Docteur, énervé. ‘C’est vous qui lui avez dit ça – et j’ai vraiment failli vous croire !’
‘Qu’est-ce que ça change ?’
Le Docteur, pas aussi mal en point qu’il voulait le faire croire mais tout de même assez secoué, se releva avec l’aide d’une Susan confuse.
‘Ce que ça change, ma jeune dame, ce que ça change ?’ dit-il devant cet affront à sa dignité. ‘ Ce barbare étendu là a failli m’étrangler ! Il ne vaut pas mieux que ces hommes des
cavernes que nous avons rencontré!’
Barbara ne faisait plus attention au babillage du Docteur. ‘Mais il s’est évanoui,’ répéta-t-elle. ‘Regardez-le.’
‘Oh, il joue très bien la comédie,’ répondit le Docteur, sans accorder un regard au professeur inconscient.
Barbara leva vers lui un regard sincèrement inquiet. ‘Docteur, il s’est évanoui et je ne peux pas croire qui ait voulu vous tuer. Ne voyez-vous pas que quelque chose de terrible nous arrive à
tous ?’
‘Pas à moi,’ la contredit le Docteur, ‘Rien ne m’est arrivé.’
Stupide vieil homme, vous ne voyez pas que vous êtes le plus affecté de nous tous ! pensa vicieusement Barbara. Baissez vos défenses idiotes ne serait-ce qu’une minute et regardez ce qui
nous arrive !
‘C’est sans aucun doute un complot entre vous deux pour prendre le contrôle de mon vaisseau,’ affirma le Docteur.
‘C’est faux !’
‘Ne voyez-vous pas que vous êtes démasqués? Dit le Docteur en riant, très satisfait de son esprit de déduction. ‘Pourquoi ne pas simplement l’admettre ?’
‘Non, pourquoi vous ne l’admettez pas ?’ répliqua sauvagement Barbara. ‘Pourquoi n’admettez-vous pas que vous n’avez pas la moindre idée de ce qui se passe ici, et préserver ce qu’il vous
reste d’estime, plutôt que de vous cacher en jetant le blâme du tout et tout le monde sauf votre petite personne !’ Elle rit d’un air moqueur. ‘ Prendre le contrôle du vaisseau! On en
serait incapables même si on le voulait. Si vous-même n’arrivez pas à piloter votre propre machine il n’y a aucune chance pour que Ian et moi puissions la faire fonctionner !’
Le visage du Docteur rougit de fureur en voyant ses capacités à piloter le TARDIS remises en question encore une fois.
‘Comment osez-vous !’ Explosa-t-il. ‘Je ne le tolérerais pas une seconde de plus. Je vous ai prévenu que je vous traiterai comme mes ennemis – ‘
Susan, qui était restée silencieuse jusqu’à maintenant, peinant à comprendre ce qu’elle voyait et déchirée entre les deux partis, prit la parole. ‘Non, grand-père,’ plaida-t-elle.
Interloqué, le Docteur regarda sa petite fille. ‘Il n’y a pas d’autre moyen, Susan,’ dit-il avec autorité.
‘Mais…’
‘Il n’y a pas d’autre moyen, mon enfant,’ insista le Docteur sévèrement.
Susan baissa la tête de défaite, connaissant la détermination de son grand-père.
Sur le sol à côté de Barbara, Ian commençait à remuer, mais elle ne quitta pas le Docteur
des yeux.
‘Qu’est-ce que vous allez faire ?’ demanda-t-elle avec appréhension.
‘Ca, madame, c’est mon problème.’
Barbara se tourna vers Ian et le secoua. ‘Allez, réveillez-vous ! Au nom du Ciel, aidez-moi !’
Ian bredouilla quelques mots incompréhensibles, et Barbara se pencha pour mieux entendre.
‘Il n’y a pas d’autre alternative,’ continua le Docteur sur un air supérieur. ‘Vos petits jeux ont mis en danger nos vies à tous.’
Susan rejoignit lentement Ian et Barbara. Elle était entrée dans la salle de contrôle un peu après Barbara et n’avait pas vu autant de la scène que le professeur.
‘Comment s’est-il retrouvé dans cet état ?’ demanda-t-elle en baissant les yeux vers Ian.
‘C’est une mascarade, ‘ insista le Docteur, catégorique. Susan répéta sa question.
‘Il s’est approché de la table de contrôle…’ dit lentement Barbara alors qu’elle commençait à comprendre. ‘Tout juste comme…’
‘Tout juste comme moi,’ finit Susan avant de se tourner vers le Docteur. ‘Grand-père, ça m’est arrivé aussi,’ dit-elle vivement.
‘C’est vrai – tu t’en souviens maintenant!’ l’interrompit Barbara, soulagée par l’intervention de Susan. ‘ Tu avais perdu la mémoire et tu avais terriblement mal à la tête.’
‘Oui, c’est vrai…’
‘Que s’est-il passé à ton avis ? Nous t’avions hypnotisée ? Droguée ? Susan, crois-moi, nous ne te ferions jamais ça !’
‘Vous ne le feriez pas ?’ demanda le Docteur, cynique. ‘Je commence à me demander ce dont vous et ce jeune homme seriez capables. Vous pénétrez par effraction dans mon
vaisseau, sabotez ses commandes et maintenant vous essayez de diviser pour mieux régner ! Elle essaye de te retourner contre moi, Susan -'
Sur ces mots, Ian essaya de se redresser et tendit une main vers le Docteur. ‘Docteur… la console… éloignez-vous…. Les commandes sont vivantes…’
croassa-t-il.
Barbara lança au Docteur un regard venimeux. ‘Vous voyez ? Il n’essayait pas de vous blesser, il essayait de vous aider – Dieu seul sait pourquoi d’ailleurs !’
Pendant un temps le Docteur parut choqué, comme si la vérité des arguments de Barbara commençait à pénétrer son esprit. Puis Susan le rejoignit et l’attrapa doucement par le bras.
‘Grand-père, je les crois vraiment’ dit-elle doucement. ‘Ils ne peuvent pas avoir fait toutes ces choses horribles dont tu les accuses.’
Mais même les mots de sa petite fille ne purent détourner le vieil homme têtu de ses convictions, aussi irrationnelles soient-elles. ‘De quel côté es-tu, Susan ?’
demanda-t-il froidement. ‘Du mien ou du leur ?’
‘Je ne peux pas être des deux côtés ?’
Le Docteur secoua la tête. ‘Oh, je reconnais qu’ils ont été très malins,’ dit-il, mais cette fois il semblait moins sûr de lui.
‘Il ne s’agit pas d’être malin ou non,’ répliqua fermement Susan.
Le Docteur prit sa petite fille dans ses bras dans une attitude protectrice. ‘Tu ne vois pas que je ne les laisserai pas te faire du mal, mon enfant ? Ces humains sont rusés et plein de
ressources – qui sait quels autres plans ont-il conçu pour t’atteindre ? Tu dois comprendre qu’ils ne me laissent pas le choix. Ils doivent être éjectés de mon vaisseau !’
Susan rompit l’étreinte du Docteur. ‘Non, grand-père, tu ne peux pas faire ça !’
‘Je le peux et je le dois.’ Le ton du Docteur était sans appel.
‘Mais vous ne pouvez pas ouvrir les portes !’ Protesta Barbara. ‘Les commandes ne répondent plus !’
‘ Ne sous-estimez pas mon pouvoir, jeune dame !’ Riposta le Docteur.
‘Mais, grand-père, on n’a aucun moyen de savoir ce qu’il y a dehors tant que le scanner ne marche pas correctement,’ protesta Susan. ‘Il n’y a peut-être pas d’air ; il y fait peut-être
bien trop froid ou bien trop chaud pour survivre…’
Le Docteur joua sa carte maitresse. ‘Oui – où ça pourrait être la Terre du XXe siècle. Cela t’est-il venu à l’esprit ? Mon vaisseau a une grande valeur…’
‘Pourquoi doutez-vous autant de nous ?’ demanda froidement Barbara.
‘Mettez vous à ma place, jeune dame. Vous feriez exactement la même chose.’
Barbara renifla avec dédain et lui tourna le dos ; si le Docteur était capable de se mettre un minimum à leur place il ne serait pas aussi hystérique et illogique qu’il l’était
maintenant.
Le Docteur lança à Ian un regard glacial. ‘C’est l’heure d’arrêter votre comédie, Chesterton. Vous quittez le vaisseau !’
‘Maintenant ?’ demanda-t-il, toujours un peu sonné.
‘Immédiatement !’
‘Trop faible pour débattre, et toujours étourdi, Ian leva les yeux vers Barbara. ‘Vous allez devoir m’aider à me relever,’ dit-il pathétiquement. ‘J’irai mieux quand je serai dehors, l’air
frais me fera du bien.’
‘Grand-père, regarde-le !’ supplia Susan. ‘Il ne comprend même pas ce qui se passe. Je ne te laisserai pas faire ça.’
Le Docteur dévisagea un instant sa petite fille, reconnaissant en elle la même détermination que celle qu’il affichait en permanence. Il savait qu’elle ne lui cèderait pas.
Essayant de préserver sa dignité, il déclara : « Evidemment, s’ils veulent confesser leurs méfaits contre mon vaisseau je pourrais peut-être changer d’avis.’
Il se dirigea vers le levier qui commandait l’ouverture des portes.
‘ Pourquoi ne voulez-vous pas nous croire ! Nous n’avons pas -’
Un bruit menaçant interrompit soudain Barbara. Un son bas et répétitif, comme le tintement d’une énorme cloche en bronze. Le son se répercuta dans tout le TARDIS, et sembla s’infiltrer dans les
moindres fibres de leurs corps.
Le Docteur et Susan échangèrent un regard paniqué, ayant aussitôt reconnu ce son inquiétant. Le Docteur serra instinctivement sa petite fille dans une
étreinte protectrice.
Ian eut une sensation qu’il n’avait plus eu depuis l’enfance. Barbara se rappela immédiatement d’un vers qu’elle avait appris à l’école il y a longtemps de ça et qu’elle n’avait jamais vraiment
compris jusqu’à cet instant :
N’envoie jamais demander pour qui sonne le glas, il sonne pour toi.
‘Qu’est-ce que c’était ?’ demanda Ian, effrayé, alors que le dernier écho s’effaçait au loin.
‘Le signal de danger…’ la voix de Susan tremblait et son visage était pâle comme la mort. Elle s’accrocha au bras de son grand-père. ‘Elle n’avait jamais sonné jusqu’à maintenant…’
‘Le Localisateur d’Erreur ! ‘ cria le Docteur en se précipitant vers la rangée d’instruments à l’autre extrémité de la pièce. Les lumières clignotaient furieusement et sur l’écran de
l’ordinateur se mit à défiler un fouillis de symboles et de lettres. L’appareil semblait en surchauffe ; des étincelles jaillirent et une fumée âcre envahit toute la zone derrière le verre
de protection.
‘N’y touchez pas, Docteur !’ l’avertit Ian en se relevant avec l’aide de Barbara. Susan rejoignit aussitôt le Docteur. Elle leva les yeux vers lui et reconnut instantanément la peur sur
son visage. Elle n’avait jamais été aussi horrifiée de toute sa vie que devant ce regard rempli de terreur.
‘Qui a-t-il ?’ demanda-t-elle bien qu’elle connaisse déjà la réponse, mais espérant malgré tout que le Docteur se tournerait soudain vers elle pour lui dire que tout irait bien. ‘S’il te
plait, dis-moi…’
Le Docteur la dévisagea puis se tourna vers Ian et Barbara qui les avaient rejoints près du Localisateur d’Erreur.
‘Le Localisateur vient de nous donner une alerte,’ annonça-t-il gravement.
Ian regarda l’écran de l’ordinateur qui clignotait, diffusant sa macabre lumière vert-émeraude sur leurs visages. Il semblait passer en revue chaque instrument à bord. ‘Mais tout ne peut
pas tomber en panne en même temps !’ dit-il, incrédule.
‘C’est exactemement ce qu’il nous dit, pourtant,’ répondit le Docteur. ‘Chacun des appareils à bord de ce vaisseau, jusqu’à la plus petite pièce, est entrain de tomber en panne.’ Il lança un
regard grave à ses compagnons, se demandant s’il devait leur dire la vérité. Il se décida finalement. Ses mots franchirent laborieusement ses lèvres:
‘J’ai bien peur que le TARDIS ne soit entrain de mourir…’
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