Un cri terrible résonna dans toute la cour. Ian s’empara d’une barre de fer sur le sol et se retourna, près à courir. La barre s’accrocha à quelque chose. Un câble caché
la maintenait au sol. Il tira violemment. Aussitôt une grille s’abattit devant l’alcôve, l’enfermant à l’intérieur.
Un autre cri à vous glacer le sang résonna depuis la maison. Ian fouilla frénétiquement parmi un tas d’outils de jardins rouillés. Il trouva une pioche. La passant à travers les barreaux de
la grille, il commença à se forcer une sortie.
Barbara déchirait le filet, paniquée. Les pointes d’acier se rapprochaient inexorablement. ‘Aidez-moi ! Je vous en prie !’ Alors qu’elle s’agitait, impuissante,
sur le sol, la porte du fond s’entrouvrit. Un œil humain vide d’émotion l’observait à travers l’ouverture.
Les pointes aiguisées n’étaient plus qu’à quelques centimètres du corps prostré de Barbara. Soudain une paire de botte en cuir usé apparut dans son champ de vision. Le
bruit des lames d’acier s’arrêta. Les pointes n’étaient qu’à cinq centimètres de son visage.
Une voix plaintive brisa le silence. ‘Pourquoi êtes vous partis à la recherche de la clé ?’
‘Aidez-moi,’ souffla Barbara, tremblant sous le choc.
‘Qui êtes-vous ? Pourquoi vous intéressez-vous à la clé ?’
‘Je ne peux pas vous parler comme ça. Laissez-moi sortir.’ Les pointes d’acier la maintenaient au sol et l’empêchaient de voir son interrogateur.
‘Êtes-vous le Voord ?’ continua la voix, sèche et sceptique. ‘Vous ne ressemblez pas à ceux de leur race, et pourtant…’
‘Arbitan nous a envoyé.’
‘C’est un mensonge.’
‘Non. Il était seul sur l’île. Il ne pouvait envoyer personne d’autre.’
‘Quelle preuve avez-vous ?’
‘Je ne sais pas. Qu’est-il arrivé à Ian ? Que lui avez-vous fait ?’
Il y eu une pause.
‘Comment pouvez-vous prouver qu’Arbitan vous a envoyé ?’
‘Le cadran de voyage. A mon poignet.’ Barbara tendit son bras.
L’étranger s’agenouilla pour détacher le cadran et Barbara aperçut son visage. Il était âgé et ridé et arborait une fine barbe grise. Elle remarqua avec surprise qu’il portait une robe à
capuche comme celle d’Arbitan.
‘Je dois l’examiner,’ dit-il. ‘S’il est assemblé correctement avec la bonne programmation pour les sauts je saurais que vous dites la vérité. Seul Arbitan aurait pu programmer le voyage
complet.’ Il tourna les talons et disparut par la porte.
‘Qu’avez-vous fait à Ian ?’ Appela Barbara – mais la porte claqua derrière lui.
Ian tira sur les barreaux de toutes ses forces, les déplaçant de quelques millimètres à chaque fois. Il réussit finalement à se faufiler entre eux.
En quelques secondes il avait traversé la cour et entrait dans la maison. Il fut stoppé dans son élan par la vue de Barbara étendue sur le sol, apparemment tombée sur un lit de pointes d’acier.
Alors qu’il la regardait avec horreur il entendit un cri sourd provenant du font de la bâtisse. Saisissant Barbara par les bras, il la tira loin des pointes et réalisa avec soulagement qu’elle
n’était pas blessée.
Le cri étouffé se fit entendre à nouveau.
‘La dedans, Ian,’ haleta Barbara, indiquant l’extrémité du hall.
Dans l’obscurité Ian aperçut la porte. Elle était verrouillée. Il fonça dedans, faisant exploser la serrure qui s’écrasa sur le sol de la pièce qu’elle protégeait. A l’autre bout de la pièce,
près d’une fenêtre, un vieil homme barbu se débattait avec une masse de lianes entourée autour de son cou. Le visage du vieil homme était bleu, dans ses derniers moments de conscience. La pièce
était pleine de plantes. Ian s’empara d’une machette sur une table et commença à taillader les lianes qui entouraient le vieil homme. Elles se débattirent violemment d’un côté et de l’autre
comme des animaux blessés avant de battre en retraite par la fenêtre brisée. Il parvint finalement à libérer la forme presque vide de vie et à la porter jusqu’au lit dans le coin de la pièce.
Lorsque Barbara apparut le vieil homme ouvrit ses yeux tombant et leur murmura faiblement. ‘Elle revient… la jungle revient. Quand vous entendrez commencer les
murmures, ça sera la mort, je vous le dit, la mort !’ Il déglutit avec effort. Barbara remarqua une blessure profonde sur le côté de son crâne. Elle attrapa aussitôt de l’eau et un morceau
de vieille couverture posés sur la table à côté et trempa le coin. Le vieil homme devenait de plus en plus gris.
‘J’ai peur qu’il ne soit entrain de mourir,’ murmura-t-elle.
‘Il doit s’être cogné la tête,’ dit Ian. ‘C’est presque comme s’il était trainé par la liane.’ Il fouilla la pièce des yeux, incrédule. La pensée que la jungle puisse être vivante de cette
manière défiait toute logique.
Le vieil homme grogna et parla. ‘Vous… Ne devriez pas… rester ici.’
Ian s’agenouilla près de l’oreille du vieil homme. ‘Nous sommes venus pour le microcircuit,’ dit-il avec urgence. ‘Vous me comprenez ? Arbitan nous a envoyé ici.’
Le nom sembla avoir un effet. La bouche trembla et les yeux embués du vieil homme cherchèrent Ian avec impatience. ‘Est-ce… qu’Arbitan… a vraiment envoyé quelqu’un… enfin… ?’
‘Oui.’
‘Dehors sur l’idole… j’ai mis une fausse micro-clé autour de son cou.’
‘Je l’ai trouvée,’ dit doucement Barbara.
‘Je sais… j’ai… un système de miroirs. Quand la fausse clé a été retirée… j’ai activé tous mes pièges. Seuls ceux avertis par Arbitan… peuvent les éviter.’ Le corps du vieil homme s’agita et
ses yeux commencèrent à errer.
‘Il devient de plus en plus faible,’ murmura Barbara. ‘Si seulement nous pouvions faire quelque chose pour lui. Je me sens si inutile.’
‘Vous devez nous croire,’ dit Ian. ‘Dites-nous où est là clé.’
Le vieil homme leva un doigt et leur fit signe. Ian approcha son oreille près des lèvres du vieil homme. D’une voix à peine audible, le vieil homme murmura se qui ressemblait à un code. ‘… D…
E… Trois… O… Deux…’
‘Je ne comprend pas,’ dit Ian. ‘Que voulez-vous dire ?’
Le vieil homme sombrait rapidement. Dans un dernier effort il pointa une porte intérieure. ‘Vite… l’obscurité… le Murmure va commencer…’
Dans un soupir le vieil homme retomba sur son oreiller et mourut. Ian déposa une couverture par-dessus le corps sans vie. Aucun d’entre eux ne dit quoi que ce soit
pendant un moment, puis Barbara dit, ‘Il nous a indiqué cette porte. Que voulaient dire les chiffres et les lettres ?’
‘Ca pourrait être la combinaison d’un coffre. Voyons ce que nous pouvons trouver.’ Il marcha jusqu’à la porte et l’ouvrit. Elle menait vers une sorte de laboratoire. Bien qu’envahi de
végétation et abandonné comme le reste de la demeure sa vocation scientifique était évidente. Des tubes à essai brisés gisaient dans toute la pièce, des jarres de stockage étaient alignées
contre les murs, et un nombre de plantes luxuriantes occupaient tout un coin, des spécimens qui avaient depuis longtemps jaillis de leurs contenants. Une fenêtre, un cabinet de rangement,
quelques meubles à tiroirs, et un grand coffre-fort en acier complétaient le contenu de la pièce.
‘Vous aviez raison,’ dit Barbara en apercevant le coffre.
‘Et un coffre à combinaison,’ répondit Ian en l’examinant.
‘D… E… Trois… O… Deux,’ répéta Barbara.
‘Il n’y a que des lettres sur le clavier. Peut-être qu’il s’agit du nombre de tours ?’ Ian tourna le cadran selon les chiffres mais il resta verrouillé.
‘C’est aussi possible qu’il ne parlait pas du tout du coffre,’ dit Barbara. Ils décidèrent de fouiller la pièce. Une heure plus tard ils avaient fait chou blanc. Pendant une pause Barbara dit,
‘J’essaye de réfléchir à ce qu’il a dit, Ian. Que voulait-il dire par ‘l’obscurité… le Murmure va commencer’ ? C’est ce que Susan a entendu ?’
‘Je pense qu’il perdait les pédales,’ répondit Ian, le nez dans un livre relié en cuir. ‘J’espère trouver un indice là-dedans. C’est un journal de ses expériences.’
Barbara, épuisée, s’appuya sur une pile de papiers. ‘Sur quoi travaillait-il ?’
‘D’autant que je puisse comprendre il avait développé un traitement hormonal qui pouvait accélérer la pousse des plantes.’ Il lut : ‘La nature a un rythme de destruction fixe. De l’eau
coulant sur une pierre pourra mettre des milliers d’année à provoquer le moindre signe d’usure.’
‘Ca n’est pas très original.’
‘Et si l’on pouvait accélérer le processus ? Si l’usure sur la pierre pouvait être faite en un jour …’
‘Mais c’est ridicule.’
‘Et bien, il semblait ne pas être de cet avis. Il finit en disant que son accélérateur de pousse a entièrement modifié le rythme de destruction de la nature.’
‘Fascinant,’ dit Barbara en se redressant sur ses pieds. Elle s’approcha de la fenêtre. ‘Il fait complètement sombre dehors maintenant,’ remarqua-t-elle en regardant à travers les fissures des
boisements. Elle retourna à la table et choisit un livre. ‘Avez-vous consulté celui-ci ?’ Ian secoua la tête. Barbara commença à le feuilleter. Pendant quelques minutes ils lurent tous les
deux en silence.
Le son commença d’abord faiblement, un léger frottement sur le côté de la maison. Ian sentit les poils de sa nuque se hérisser. ‘Qu’est-ce que c’était ?’
Barbara le regarda, soudain très pâle. ‘On aurait dit un… un… murmure !’ Leurs yeux s’agrandirent. ‘Il a dit que ça viendrait avec l’obscurité. C’est ce que Susan a dû entendre !’
‘Mais quelle en est la source ?’
‘Sssh. Ecoutez.’
Le bruit devenait de plus en plus fort, comme un grattement contre la fenêtre et les murs.
‘On dirait que quelque chose essaye d’entrer.’
‘Quand nous étions dehors vous avez dit ça. A propos de la jungle.’
Barbara le regarda, refusant d’y croire. ‘Mais c’est impossible… !’
‘Regardez !’ Ian indiquait la fenêtre. Une branche se forçait un passage par une fente. Le murmure grandit.
Barbara imagina la jungle dehors prendre vie ; des pousses géantes de frayant un chemin à travers le plancher ; des troncs d’arbres massifs jaillissant en emportant le toit ; des
vagues de lianes se hissant sur le côté de la maison, s’infiltrant dans chaque fissure, prêtes à les engloutir sous une mer de vert.
‘C’est ce qu’il voulait dire’, hurla Ian. ‘Le rythme de destruction… Ne voyez-vous pas ! Normalement il faudrait une cinquantaine, voire une centaine d’année pour que la jungle envahisse
cet endroit. Elle gagnerait du terrain graduellement jusqu’à l’avaler complètement… maintenant tout est accéléré !’
‘Alors… la jungle est entrain de nous attaquer… !’
Il y eut un terrible craquement et un morceau de bois en travers de la fenêtre fut propulsé au loin. Un énorme tentacule vert rampa à l’intérieur et alla s’accrocher au mur. Les jarres, les
livres, l’équipement furent projetés au sol alors qu’encore plus de lianes envahissaient la pièce. Les murs commencèrent à se fendre et à s’effondrer. Une épaisse liane enserra la cheville de
Barbara. Ian trébucha en essayant de la libérer. En se redressant, il aperçut la description du contenu de l’une des jarres brisées. Il lut : DE302.
‘Barbara ! C’est ça ! La clé est dans l’une des jarres !’
La pièce était maintenant remplie de gravats et de plantes qui fouettaient l’air comme une tempête miniature. Les murs étaient fendus par de larges fissures qui permettaient à la végétation de
rentrer en toute liberté dans la pièce.
Barbara poussa soudain un cri. En fouillant dans la jarre, ses doigts s’étaient refermés sur quelque chose de plat et de brillant. Elle le sortit. Couverte de
poudre blanche mais clairement visible se trouvait la clé ! La végétation qui avançait toujours était sur le point de les étouffer.
Ian indiqua vivement son poignet. ‘Utilisez le cadran de voyage ! Maintenant !’
Alors que la vague de lianes se refermait sur eux Barbara et Ian tournèrent les cadrans et disparurent.
Ian se retrouva le visage enfoncé dans un lit de poudre blanche. Un filet d’eau coulait doucement sur sa nuque. Il avait froid et se sentait rigide. Il se mit à
genoux et regarda son poignet. Le bracelet était toujours là. Il prit conscience de petits flocons blancs sur sa peau. Neige. Où était-il ? Il se releva et regarda autour de lui. Il
faisait noir. Il était entouré d’une étendue de gris. Le lointain hurlement du vent résonnait à ses oreilles. Alors que ses yeux s’habituaient à l’obscurité, il remarqua un corps couché
dans une position anormale à quelques mètres de là.
‘Barbara !’ Elle était bleue de froid et trop faible pour bouger. La violence du voyage, couplée avec le froid, l’avait désorientée. Ian la secoua. ‘Réveillez-vous, Barbara ! Nous
devons bouger.’
Les yeux de Barbara s’entrouvrirent. ‘Je ne peux pas, j’ai trop froid…’
‘Il le faut. A moins de trouver un abri, nous n’avons aucune chance !’ Il parvint à la mettre sur ses pieds et s’éloigna en la trainant dans la neige.
Le blizzard s’était levé et le vent les frappa comme un couteau. La robe de coton léger de Barbara ne lui offrait aucune protection et Ian réalisa que ça n’était
qu’une question d’heures avant qu’ils ne meurent tous deux de froid.
Barbara se libéra soudain de son emprise. ‘Ca ne va pas, Ian… Je ne peux pas… Je suis si fatiguée… Dormir… Je dois dormir.’
‘Il la secoua vigoureusement. ‘Non, Barbara ! Nous allons mourir de froid.’
Mais la vie quittait déjà son corps et elle glissa comme un poids mort dans la neige. Ian essaya de la relever mais il pouvait sentir sa propre force s’échapper. Continuer seul voudrait dire
abandonner Barbara à une mort certaine. Il tomba dans la neige à côté de Barbara et se colla à elle pour lui donner autant de chaleur et de protection qu’il le pouvait. En quelques
minutes ses membres s’engourdirent. Il regarda ses chances de survie s’enfuir comme un fantôme dans l’obscurité environnante.
…
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