Le point de vue de Ian s’avéra plus juste que la prophétie du Docteur et la seule personne qui se préoccupait de Ping-Chow était Susan, alors qu’elles étaient assises toutes les deux dans sa
chambre.
‘Est-ce que vous partirez ce soir ?’ demanda Ping-Cho
‘C’est possible,’ répondit Susan.
‘Je veux que tu saches que ce voyage a été le moment le plus heureux de ma vie, malgré tous les dangers et l’étrange comportement de Messire Marco après Tun-Huang.’
‘Je continue à me demander ce que Tegana lui a dit.’
‘J’ai demandé à Messire Marco une centaine de fois mais il garde le silence.’ Ping-Cho dévisagea Susan. ‘Tu diras au revoir, n’est-ce pas ?’
‘Bien sûr.’
‘Même s’il est très tard.’
‘Je te le promets. Ma chambre est tout au bout du couloir et je dois passer devant la tienne pour descendre.’ Ping-Cho semblait perplexe. Susan sourit et frappa sur la table de chevet avec son
point. ‘Je frapperai à la porte.’
Le visage de Ping-Cho s’éclaira soudain. ‘C’est un menteur, Susan, c’est un menteur et on peut le prouver. Viens.’ Elle attrapa Susan par la main et traversa le couloir en courant jusqu’à la
chambre de Marco, frappa grossièrement à la porte et, sans attendre de réponse, entra en trainant Susan derrière elle.
Marco était assis à sa table, écrivant dans son journal.
‘C’est un menteur et on en a la preuve, Messire Marco,’ lâcha Ping-Cho.
Marco posa sa plume et la regarda en souriant. ‘Qui est un menteur ?’ demanda-t-il.
Ping-Cho lança un regard à Susan et déglutit. ‘Le Seigneur de Guerre Tegana.’
Marco fronça les sourcils. ‘C’est une accusation très sérieuse, jeune fille,’ la prévint-il.
‘Mais nous en avons la preuve, Messire Marco,’ insista Ping-Cho.
Marco considéra un moment la page inachevée de son journal. ‘Très bien,’ dit-il finalement en croisant les bras, ‘racontez-moi.’
‘Vous vous souvenez de la réponse du Seigneur de Guerre lorsque Dame Barbara a dit qu’elle l’avait suivi jusqu’à la grotte aux cinq cent yeux ?’
‘Oui, il a dit qu’il n’était jamais venu ici auparavant.’
‘C’est là qu’il a menti, Messire Marco. Quand le Seigneur de Guerre est entré dans la grotte le grand-père de Susan lui a montré le mouchoir de Dame Barbara en lui disant que nous l’avions
trouvé par là, en lui indiquant un coin sombre et Tegana a alors demandé si nous avions exploré le tunnel.’
‘Et ?’ demanda Marco.
‘S’il n’était jamais allé dans la grotte avant, comment aurait-il pu savoir que ce coin sombre cachait un passage ?’
‘C’est vrai, Ping-Cho, et grand-père peut le confirmer,’ Susan était enthousiaste mais Marco secoua la tête.
‘Je ne poserai pas la question au Docteur,’ dit-il en expliquant que la plupart des voyageurs connaissaient la grotte mais que seul un petit nombre d’entre eux, dont il faisait partie-
connaissait l’existence de la chambre intérieure. ‘Non, ça n’est pas la preuve que le Seigneur de Guerre Tegana est un menteur. Croyez-moi, il me faudra bien plus pour ébranler ma confiance en
lui.’ Il reprit sa plume, la trempa dans l’encre et reprit l’écriture de son journal.
Au diner le Docteur était affable, presque joyeux, se dit Ian, alors qu’il plaisantait avec tout le monde autour de la table, tournait le plateau pour placer quelques plats délicats devant
Barbara, Susan ou Ping-Cho, faisant remarquer que Kan-Cho était renommée à travers tout Cathay pour sa cuisine. Marco approuva mais ne cacha pas sa surprise sur le fait que le Docteur le savait
également.
‘Mon cher Polo, je connais certains faits sur Cathay,’ répondit légèrement le Docteur. ‘Par exemple, on devrait toujours avoir un tailleur à Han-Chow où l’on trouve les soies les plus fines et
les plus délicates, et c’est une faute de goût que de mourir ailleurs qu’à Han-Cho où l’on trouve le meilleur bois pour cercueils.’
Tout le monde rit et Marco admit qu’il connaissait les deux cités et que le Docteur avait raison.
Ils allèrent ensuite boire le thé dans le salon, Marco leur parlant de la prochaine partie de leur voyage. Souriant au Docteur, il concéda que Lan-Chow n’était pas aussi distingué que Kan-Chow,
Han-Chow ou Lu-Chow mais c’était tout de même une ville important puisqu’elle était la première que l’on rencontrait sur les rives du Hwang Ho, ou Fleuve Jaune, à une centaine de lieues de la
mer. Marco estimait qu’il leur faudrait une semaine pour rejoindre Lan-Chow.
‘Non, pour que vous la rejoignez,’ le corrigea mentalement le Docteur avec un léger sourire.
Tegana se leva, s’étira, et annonça qu’il allait respirer un peu d’air de la nuit avant d’aller se coucher. Ni Ping-Cho ni Susan ne le crurent alors qu’il sortait dans la cour.
Ian se pencha vers Barbara. ‘Vous allez le suivre, hein ?’ murmura-t-il.
‘Jamais de la vie,’ répondit-elle fermement.
Puis Susan et Ping-Cho annoncèrent qu’elles montaient dans leurs chambres et un par un ils se levèrent et se souhaitèrent bonne nuit les uns aux autres.
Susan s’arrêta sur le Docteur en dernier. ‘Bonne nuit, grand-père,’ dit-elle en l’embrassant sur la joue.
‘Dors bien, mon enfant, et que tes rêves t’emportent dans des endroits merveilleux,’ répondit-il avec un clin d’œil.
Lorsque les filles atteignirent la porte de Ping-Cho, celle-ci regarda Susan. ‘Et ils le feront, n’est-ce pas ?’ Susan hocha la tête. Ping-Cho frappa doucement à sa prote. ‘Tu n’oublieras
pas ?’
‘Non, je n’oublierais pas,’ répondit Susan, puis elle regagna sa chambre où l’attendaient ses vêtements, propres et repassés. Elle soupira, puis les enfila et s’assit sur le bord du lit et
commença à attendre.
Tegana savait où trouver Acomat car, avant de commencer son voyage vers le palais d’été du Khan, des lieux de rendez-vous avaient été arrangés dans toutes les villes. Il lui dit qu’il
savait qu’ils avaient dépassé la caravane une nuit, ce qui fit rire Acomat.
‘Entre Tun-Huang et ici j’aurai pu vous attaquer une vingtaine de fois,’ se vanta-t-il, ‘mais tu ne m’as pas donné de signal.’
‘En terrain ouvert où il n’y aurait eu aucun endroit où cacher les corps,’ répondit Tegana. ‘Dans le désert les vents et le sable chantant s’en serait chargé, comme le feront les forêts de
bambou que nous approcherons bientôt lorsque nous partirons vers Hwang-Cho. Elles sont denses, presque impénétrables, et nous devrons planter nos tentes au bord de l’une d’entre elles pour une
nuit avant de rejoindre Lan-Cho. Surveille-nous et je te donnerai le signal ainsi.’ Il s’approcha du feu qui brûlait dans le foyer et en extirpa une brindille enflammée qu’il agita au dessus de
sa tête. ‘Tu commanderas alors une attaque furtive et nous cacherons les cadavres dans les profondeurs de la forêt. Rapporte la roulotte volante au grand Khan Noghai pendant que je
chevaucherais vers Shang-Tu pour remplir ma mission.’
‘Comment entre-t-on dans la roulotte, mon seigneur ?’ demanda Acomat.
Il y a une clé, c’est Polo qui l’a, mais je la garderai jusqu’à ce que je retourne à Karakorum et proclame le grand Khan Noghai le Maitre du Monde.’
Dans sa chambre le Docteur enfila ses propres vêtements, glissant l’électromètre dans l’une des poches de sa veste et les microprocesseurs dans l’autre. Il attendit que tout soit silencieux
pour se glisser précautionneusement dans le couloir. Personne n’était en vue, tout le monde était en chambre, pensa-t-il. Il descendit rapidement et silencieusement les escaliers et se rendit
dans la cour.
Il resta un moment devant le TARDIS et tapota la poche contenant les microprocesseurs. Des endroits merveilleux, pensa-t-il avec un sourire, puis il grimpa dans le wagon, déverrouilla la porte
et entra. Mais il avait fait une erreur de calcul. Ils n’étaient pas tous dans leurs chambres. Le Seigneur de Guerre Tegana, de retour après être allé respirer l’air de la nuit, l’observait
depuis l’entrée de la station et aussitôt que le Docteur eut refermé les portes derrière lui, Tegana se précipita dans la chambre de Marco. Sans s’embêter à toquer, il entra.
‘Le vieux magicien est dans la roulotte,’ proclama-t-il à un Marco surpris, ‘je l’ai vu entrer.
Marco chassa le sommeil de son esprit. ‘Retourne-y rapidement et mon la garde au cas où il sortirait. S’il le fait, retiens-le,’ répondit-il.
Tegana sourit et quitta la chambre alors que Marco enfilait ses vêtements, attrapait son épée et entrait précipitamment dans la chambre de Ian. Ian était allongé entièrement habillée sur le
lit.
‘Debout, ‘ ordonna Marco, ‘allez chercher Mlle Wright et la fille. Amenez-les dans la cour immédiatement.’
Ian fit de son mieux pour avoir l’air nonchalant, haussant les épaules comme s’il ne comprenait pas ce qui se passait mais réalisant en son for intérieur que quelque chose avait mal tourné. Il
fit ce qu’on lui avait demandé, alla chercher Barbara et Susan et tous trois descendirent dans la cour où Tegana et Marco se tenaient devant le wagon.
‘Qu’est-ce que c’est que tout ça ?’ Bluffa Ian.
Marco pointa son épée vers le wagon. ‘Le Docteur, comme vous l’appelez, est là-dedans.’ Sa voix était glaciale.
‘Vous avez vérifié dans sa chambre,’ demanda Ian innocemment.
‘Vous me prenez pour un idiot ?’ répondit Marco. ‘Nous attendrons ici jusqu’à ce qu’il sorte, même si nous devons rester toute la nuit.’
Dans le TARDIS le Docteur était occupé à remettre en place les microprocesseurs et à vérifier les circuits un par un à l’exception de deux : le gyrophare bleu sur le toit qui aurait attiré
l’attention, et le circuit de dématérialisation au cas où il ne pourrait pas revenir. Mais tout fonctionnerait, il le savait, alors qu’il frottait ses mains l’une contre l’autre et sortait.
‘Verrouillez la porte,’ hurla Ian. Le Docteur fouilla sa poche à la recherche de la clé, la trouva, fit ce qu’on lui avait indiqué et se tourna avec défiance vers Marco et Tegana.
Marco tendit la main. ‘Je vais prendre la clé,’ dit-il.
‘Non.’ Le Docteur était catégorique.
Tegana monta dans le wagon et leva son épée. ‘Vous êtes un vieil homme, Docteur,’ dit Marco, ‘et je n’aimerais pas avoir à utiliser la force.’
Le Docteur le dévisagea. ‘C’est ce qu’il vous faudra utiliser, Polo.’
‘Est-ce que je dois le découper ?’ demanda Tegana, son épée posée sur la main du Docteur.
‘Grand-père, donne-la-lui, donne-la,’ cria Susan.
Le Docteur ouvrit la main et tendit la clé.
‘N’avais-je pas dit qu’il en avait une autre ?’ proclama Tegana alors que le Docteur descendait du wagon et agitait la clé devant le visage de Marco.
‘Mettez cette clé dans la serrure et vous détruirez la roulotte, Polo,’ le prévint-il, ‘ et alors que ferez vous, vous et votre précieux Kublai Khan ?’ Marco arracha la clé de la main du
Docteur. ‘Il vous faut bien plus qu’une clé, Polo, il vous faut les connaissances,’-Le Docteur lui tapota le front avec son index – ‘des connaissances que vous n’aurez jamais.’
‘Donnez-moi ces connaissances.’
‘C’est au-delà de votre compréhension, Polo.’
‘Le Docteur a raison, Marco,’ intervint Ian.
‘Nous sommes ici, tous les quatre,’ ajouta Barbara, ‘et le vaisseau est réparé, alors pourquoi ne pas nous laisser partir ?’
‘En paix,’ ajouta le Docteur d’un ton cassant. Susan pensa à Ping-Cho et se mordit la lèvre.
‘Non,’ rétorqua Marco en se tournant vers Tegana. ‘Sois-en témoin. Je porte le sceau d’or du grand Kublai Khan et par l’autorité dont il m’investit, je saisis votre roulotte volante.’ Il pointa
son épée vers chacun d’entre eux. ‘Soyez prévenus, la moindre résistance face à ce décret sera immédiatement punie de mort. Maintenant, retournez à vos chambres.’
Le Docteur regarda Marco et secoua tristement la tête. ‘Oh, pauvre ami, influencé, stupide, pathétique sauvage,’ dit-il avant de retourner dans la station.
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